Le mois dernier, l’Ouganda a ratifié l’une des lois anti-LGBTQI+ les plus sévères, qui prévoit la peine de mort en cas d’« homosexualité aggravée ». La loi prévoit également une peine de prison de 14 ans en cas de « tentative d’homosexualité aggravée » et de 20 ans pour « le recrutement, la promotion et le financement » de l’homosexualité. Et l’Ouganda n’est pas le seul pays à avoir adopté des lois si draconiennes.
Plusieurs pays dans le monde ont adopté des lois qui discriminent les personnes LGBTQI+. Les relations entre personnes du même sexe sont criminalisées dans plus de 70 pays et sont passibles de la peine de mort dans au moins sept d’entre eux. Dans ces sociétés, les personnes LGBTQI+ font face à de la discrimination, des menaces, de la persécution et de la violence de la part de leur famille, de leur collectivité et des autorités, ce qui ne leur laisse souvent d’autres choix que de fuir et de chercher asile ailleurs.
Au cours des dernières décennies, le nombre de personnes LGBTQI+ déplacées dans le monde a augmenté. Parmi les 108,4 millions de personnes réfugiées, déplacées dans leur propre pays et demandeuses d’asile, les personnes LGBTQI+ sont particulièrement vulnérables à la violence, aux mauvais traitements et à l’exploitation.
Le 20 juin marque la Journée mondiale du réfugié, une journée qui rend hommage à la force et au courage des personnes qui ont été forcées de quitter leur pays pour échapper aux conflits et à la persécution. Le thème de cette année met l’accent sur le pouvoir de l’inclusion – quelque chose que les personnes LGBTQI+ réfugiées et demandeuses d’asile peinent à trouver.
Il est d’autant plus important de se pencher sur les difficultés qui touchent particulièrement les personnes LGBTQI+ réfugiées et demandeuses d’asile, maintenant le gouvernement du Canada a décidé de faire un pas en avant pour les soutenir. Plus tôt ce mois-ci, le premier ministre Justin Trudeau a fait une annonce historique : le Canada travaillera en partenariat avec l’organisation Rainbow Railroad en vue d’identifier les personnes LGBTQI+ réfugiées à risque et de les orienter vers le programme des réfugiés parrainés par le gouvernement. Ce partenariat donne forme au tout premier programme de réfugiés au monde qui prévoit la recommandation directe par une organisation de personnes LGBTQI+ auprès d’un gouvernement.
Pour en apprendre davantage sur les difficultés qui touchent en particulier les personnes LGBTQI+ réfugiées, nous nous sommes entretenus avec Adebayo Chris de RARICANow, une organisation membre du Réseau Avenir égalitaire qui s’est mobilisée pour soutenir les personnes 2SLGBTQI+ réfugiées et nouvellement arrivées au Canada.
Un dédale légal
Faire une demande d’asile en raison de son identité LGBTQI+ peut s’avérer un processus éprouvant. Les personnes LGBTQI+ demandeuses d’asile doivent attendre des années avant de pouvoir obtenir la décision des autorités, et nombre d’entre elles sont également contraintes de répondre à des questions insensibles et inappropriées pour prouver leur orientation sexuelle et leur identité de genre.
Adebayo nous a fait part de son récit en tant que demandeur d’asile ougandais au Canada. « J’ai dû prouver au juge que j’étais suffisamment trans pour qu’on assure ma sécurité. C’est un processus qui traumatise à nouveau. » Pour les personnes qui ont eu à cacher leur orientation sexuelle ou leur identité de genre pour survivre dans leur pays d’origine, ce processus est particulièrement difficile.
Par ailleurs, les personnes LGBTQI+ demandeuses d’asile peuvent avoir à fournir des déclarations de témoins qui corroborent leur orientation sexuelle ou leur identité de genre, ce qui peut compromettre la sécurité des membres de leur famille et d’ancien·ne·s partenaires, ainsi que leur propre sécurité. La paperasse nécessaire est compliquée en soi et des organisations comme RARICANow aident les personnes à faire leur demande d’asile et à se préparer pour leur audience, notamment pour l’obtention de documents importants.
La barrière de la langue pose également d’autres défis. Adebayo a notamment décrit le cas d’une femme transgenre noire originaire d’Ouganda qui a demandé le statut de réfugié au Canada. Comme elle ne parlait pas anglais, elle a dû faire appel à un interprète. « Cet interprète était homophobe et transphobe, si bien qu’au tribunal, au lieu d’interpréter ce que disait la cliente, il disait autre chose, explique Adebayo. Ils ont fini par ne pas lui accorder le statut de réfugié à cause de cela. Elle a dû à nouveau faire appel. Il s’agit de personnes désespérées et traumatisées qui ont besoin de sécurité. C’est encore plus vrai pour les personnes transgenres noires. La situation a été difficile parce qu’une mesure d’expulsion a été prise et nous avons dû faire campagne pour empêcher une expulsion vers l’Ouganda. »
Malgré tout ce processus, le nombre de demandes d’asile fondées sur l’identité LGBTQI+ qui sont acceptées est très limité, ce qui peut entraîner des conséquences dramatiques, notamment le retour forcé des personnes demandeuses d’asile dans leur pays d’origine.
Violence et exploitation
Les personnes LGBTQI+ réfugiées et demandeuses d’asile continuent de faire face à d’importantes menaces à leur sécurité personnelle pendant leur transit et dans leur pays d’accueil. Dans les camps de réfugiés, les refuges, les centres d’immigration et d’autres installations fournies par les gouvernements ou les organismes d’aide, elles sont plus à risque de subir des abus, du harcèlement sexuel et de la violence basée sur le genre de la part d’autres personnes demandeuses d’asile, des membres de la collectivité d’accueil et même du personnel humanitaire. C’est pourquoi il est essentiel qu’elles aient accès à un hébergement sécuritaire et adéquat à toutes les étapes de leur processus de réinstallation.
Pendant notre discussion, Abedayo a parlé à titre d’exemple du dilemme auquel font face les membres de la communauté LGBTQI+ en Ouganda. Certaines personnes tentent de fuir la brutalité à l’intérieur du pays, mais finissent au camp de Kakuma où elles ne sont toujours pas en sécurité et manquent de protection. « Il y a tellement de personnes avec qui nous travaillons, des ami·e·s, qui ont subi des attaques constantes. Ce sont des violations des droits de la personne. Lorsque ces personnes quittent l’Ouganda pour se rendre dans un camp de réfugié·e·s où elles sont confrontées aux mêmes problèmes, cela devient une barrière. »
Même après avoir obtenu l’asile, les personnes LGBTQI+ réfugiées ne sont pas toujours en sécurité. Elles pourraient encore faire face à de la discrimination dans leur pays d’accueil. Certaines d’entre elles doivent encore cacher leur orientation sexuelle ou leur identité de genre par peur d’être à nouveau marginalisées.
Elles ne sont pas non plus à l’abri d’autres formes de discrimination, par exemple basée sur la nationalité, la religion, l’origine ethnique, la situation socioéconomique, le handicap et l’âge. « Le racisme et les injustices raciales jouent également un rôle important, explique Adebayo. Ces personnes viennent au Canada, voient ce pays comme un havre de paix, et ne sont pas préparées à y vivre des injustices raciales et de la discrimination. Elles ne s’attendent pas à l’homophobie et à la haine dont elles feront l’objet. Quand elles arrivent ici et sont confrontées à ces difficultés, certaines d’entre elles perdent espoir. Même au sein de la communauté 2SLBGTQI+, il y en a qui oppriment la communauté QTPANDC (personnes queer, trans, noires, autochtones et de couleur). »
Un mur d’obstacles
Les personnes LGBTQI+ réfugiées et demandeuses d’asile font face à d’importants obstacles, y compris le manque d’accès à l’emploi, à l’éducation, à un logement sûr et à des soins de santé inclusifs qui tiennent compte de leur réalité.
Ces personnes pouvant avoir besoin de soins médicaux particuliers, y compris du soutien psychologique, l’accès à des soins de santé sensibles à la réalité de la communauté LGBTQI+ est d’autant plus difficile pour les personnes réfugiées. En raison des violences, de l’isolement social, de l’homophobie et de la transphobie qu’elles ont vécus, il peut être difficile pour elles d’avoir confiance envers les prestataires de soins.
Les personnes transgenres demandeuses d’asile sont particulièrement vulnérables, car elles peuvent avoir besoin de traitements hormonaux et d’autres soins d’affirmation de genre. Lorsque nous avons abordé la question des services de santé sexuelle et reproductive avec Adebayo, il nous a répondu que même si le besoin d’avoir des conversations sur des sujets tels que les infections transmissibles sexuellement et les pratiques sexuelles sécuritaires existe, « une personne qui peine à se nourrir, ne pensera pas à parler de santé sexuelle; il est difficile d’avoir ces conversations quand on est en mode “survie” ».
Le pouvoir de la communauté
Nous avons demandé à Adebayo de nous parler de l’approche de RARICANow pour soutenir les personnes LGBTQI+ réfugiées et demandeuses d’asile. Il a insisté sur le pouvoir du renforcement de la communauté : « Nous sommes une communauté, nous sommes tous uni·e·s. Tout le monde échange, met du sien et parle de ses besoins au sein de la communauté. Il peut être très bénéfique pour les personnes réfugiées de se rappeler qu’elles ne sont pas seules et qu’elles ont une famille choisie et une place à elles. »
Pour Adebayo, le dur labeur qui l’attend est profondément imprégné d’espoir et de joie. « La joie, c’est moi, c’est toute mon existence, et je la retrouve dans ma communauté. Malgré les attaques et la brutalité que j’ai vécues, ma communauté de personnes réfugiées est toujours là. Elles prennent leur place, savent qui elles sont et vivent de manière authentique. C’est cela qui me donne vraiment espoir. Et c’est très contagieux. En tant que personnes LGBTQI+ réfugiées, nous avons beaucoup perdu, nous avons vécu de la discrimination, mais nous sommes joyeuses. Rien ne menace notre bonheur. »
Consultez la carte du Réseau Avenir égalitaire pour découvrir d’autres organisations qui soutiennent les personnes réfugiées et demandeuses d’asile ainsi que des organisations qui travaillent directement auprès de la communauté LGBTQI+ au Canada et ailleurs dans le monde.
Le Réseau Avenir égalitaire reconnaît que les peuples autochtones sont les gardiens traditionnels de l’Île de la Tortue, qu’on appelle également le Canada.